Mon avis : gros coup de ❤
Genre : arts, historique
Public : visible par tous, mais trop complexe pour des plus jeunes que 12 ans je dirais
Statut : 1 saison terminée, la seconde est en cours
Nombre d'épisodes : 13 + 5 diffusés pour la saison 2
Synopsis
Dans le Japon des années
1960, Kyôji est libéré de prison pour bonne conduite. Sans famille ni attache, il est déterminé à
devenir le disciple de Yakumo, un grand maître du théâtre rakugo, depuis qu'il a assisté à son impressionnante prestation au bagne. Étrangement le sensei choisit de prendre le jeune homme sous son aile, alors qu'il n'avait jusque là accepté aucun apprenti, et lui donne
même un nom de scène : "Yôtarô". Une nouvelle vie s'ouvre dès lors pour Yotaro, afin de faire perdurer cet art
qui l'a tant fasciné à ses heures les plus sombres, avec le soutien du domestique Matsuda et de la
jeune Konatsu. Fille d'un célèbre acteur de Rakugo, cette dernière semble souhaiter suivre les pas de son défunt père malgré le fait que la profession soit interdite aux
femmes...
Voici un article qu'il m'est aussi difficile d'écrire que celui sur Yuri on Ice, tant Le Rakugo ou la
Vie m'a touchée, mais aussi parce qu'il s'agit d'un animé complexe et subtil. Si le premier a été un coup de foudre immédiat, le second m'a séduite progressivement, et j'ai appris à apprécier
l'art du rakugo en même temps que le personnage principal.
Ce dernier dans cette saison 1 est Yakumo, anciennement appelé Kikuhiko / Kiku, car le synopsis correspond à l'épisode 1 de 50 minutes. Au terme de celui-ci, Yakumo entame le récit de son
parcours et l'intrigue nous transporte juste avant la seconde guerre mondiale. Il y raconte notamment sa relation avec Sukeroku / Shin, son meilleur ami et plus grand rival.
Nous sommes alors plongé dans le Japon traditionnel du rakugo et des geishas, le tout souligné par une atmosphère visuelle impeccable, composée de détails qui font toute la différence : des
pétales de cerisiers qui volent, des plans dans les reflets d'un verre, la fumée de l'encens qui s'emmêlent aux personnages, des scènes à l'image d'une peinture traditionnelle pour en souligner
l'émotion.
Difficile donc comme je le disais d'évoquer toute la richesse de ce titre, je vais découper mes réflexions en trois axes : le rakugo et son évolution, la narration et les relations entre les
personnages. Bien entendu, le tout s'entremêle admirablement dans l'intrigue.
Le rakugo et son évolution
Pour citer Wikipedia, le rakugo est une forme de spectacle littéraire humoristique japonais, qui date du début de l'ère
Edo (1603-1868). C'est en quelque sorte un one man show, où le conteur incarne tour à tour les différents personnages de son histoire, avec un nombre très réduit d'accessoires. Autant dire que la
voix et les attitudes sont fondamentaux et je salue le travail incroyable des seiyuus sur ces séquences, en particulier celui de Kiku qui évolue énormément dans ses prestations et a une voix très
séduisante.
Le rakugo est un art très codifié et hiérarchisé - comme souvent dans la culture japonaise. Les apprentis commencent au bas de l'échelle et gagnent peu à peu autonomie et droit de choisir les
histoires qu'ils content. Le rakugo comporte en effet un répertoire traditionnel qui se transmet de génération en génération, avec des niveaux de difficulté différents selon la teneur de
l'intrigue, le nombres de personnages à incarner, etc.
Cet aspect traditionnel se heurte au tournant de la modernité. La transition de l'après-guerre est soulignée jusque dans la musique qui mélange habilement jazz et shamisen (instrument
traditionnel à corde qui accompagne les prestations). Toute l'intrigue du Rakugo ou la Vie tourne ainsi autour de la sauvegarde
de cet art, avec les puristes d'un côté et ceux qui souhaitent s'adapter à l'évolution de la société pour maintenir l'intérêt du public. C'est ainsi que Sukeroku, esprit passionné mais allergique
aux règles, se heurte aux anciens, qui reconnaissent son talent mais ne supportent pas son attitude de bravade. Kiku, au contraire, issu du milieu traditionnel des geishas, est discipliné et suit
la tradition à la lettre. Leur duo devient ainsi les deux revers de la médaille du même art, également riches et indispensables.
Par ailleurs, à travers les questions soulevées par ces problématiques, une autre émerge : la place des hommes et des femmes. Kiku,
élevé les premières années par des geishas, ne peut rester avec sa famille parce qu'il est né garçon. À l'opposé, Konatsu, née fille, rêve de faire du rakugo. À plusieurs reprises la place des
femmes, leurs choix sont évoqués au regard des changements de la société. Ces thèmes sont déjà présents dans la saison 1, mais la saison 2 semble les approfondir de ce que j'en ai vu pour
l'instant.
La narration
Sous ses dehors japonais, l'art du rakugo est en réalité universel : c'est celui du conte, de la tradition orale, qui existe d'aussi loin que l'espèce humaine s'en souvienne. Les récits font
d'ailleurs écho à des sentiments tout aussi universels : amour, jalousie, devoir, cupidité, ego, mort...
En parallèle de l'activité de conteur, la saison 1 du Rakugo ou la Vie est elle-même une histoire racontée par l'un des personnages, ce qui donne une intrigue à plusieurs niveaux de lecture. La
mise en scène de l'animé est d'ailleurs créée pour rappeler ce point : il s'ouvre au son des taikos (tambours traditionnels) qui résonnent aussi lors de coups de théâtre. Même les angles de vue
de certains moments clés sont fait pour rappeler des acteurs sur une scène vue depuis l'audience.
Quant au choix des prestations majeures, il n'est pas anodin. Les récits sont là pour faire écho à l'expérience et aux sentiments des personnages. Ils sont alors accompagnés d'une musique
appropriée, jazz entraînant lorsque le conteur vit un moment exaltant ou shamisen angoissant lors de montée en tension dramatique.
Le dénouement du récit est connu dès le départ, même le titre ou le générique nous indique le drame à venir. Et pourtant l'intrigue nous surprend à plusieurs reprises et mène sa barque
émotionnelle de main de maître. Ainsi lorsque la scène attendue arrive, malgré nous nous ne sommes pas prêts et le choc est intact. La saison 2 semble bien partie pour reprendre cette façon de
faire.
Les relations entre les personnages
Le dernier aspect passionnant du Rakugo ou la Vie repose sur ses personnages complexes et leurs relations.
Tout d'abord les relations familiales. Dans ce monde un peu particulier, les liens du sang sont bien moins importants que ceux créés par la
transmission de l'art. Kiku est abandonné par sa famille - dont on sait peu de chose, juste qu'il a grandi parmi les geishas - aux bons soins de Yakumo, 7ème génération (le prédécesseur de Kiku
donc). Au même moment, Shin (qui deviendra Sukeroku) déboule chez le même maître, orphelin, passionné par le rakugo depuis sa rencontre avec un homme qui a pris soin de lui. Entre Yakumo et ses
deux jeunes disciples, la relation prend des accents père / fils.
De fait, Kiku et Shin développent une amitié fraternelle forte avec tout ce que cela comporte : rivalité, loyauté, jalousie, admiration, agacement. À
travers Shin, Kiku apprend à aimer le rakugo pour lequel il n'a pas d'intérêt au départ. S'il étudie si dur c'est parce qu'il cherche désespérément à appartenir à quelque chose, lui qui a été
abandonné. Cette peur de l'abandon teinte toute sa personnalité et ses choix lorsqu'il tient les autres à distance de son cœur.
Enfin, l'intrigue comporte un triangle amoureux un peu particulier. Je devrais peut-être parler de "carré amoureux" (ça se dit ça ?) dont l'un des
protagonistes est le rakugo lui-même. En effet, ce dernier est si prédominant sur les choix de vie de Kiku et Shin, qu'une femme a bien du mal à y trouver sa place.
C'est pourtant ce que tente de faire Miyokichi, qui en vient à jalouser non seulement la relation fraternelle des deux artistes, mais l'art lui-même.
Les trois protagonistes sont eux-mêmes des personnages forts et imparfaits : Kiku, froid et strict ; Shin à l'opposé est insouciant et laxiste ; Miyokichi plutôt manipulatrice. Cependant - ou
peut-être grâce à ça -, on s'attache à eux et leurs interactions complexes, à la passion qui les anime et aux contraintes de leur temps et condition sociale.
Les personnages de Yotaro (sur lequel s'ouvre la série) et Konatsu sont peu développés dans cette saison, mais le début de la saison
2 leur donne très vite plus de profondeur. Cette dernière en est à l'épisode 5 et est, pour l'instant, selon moi encore meilleure, avec la fin de ce dernier épisode qui m'a procuré une émotion si
intense que j'en suis restée sonnée.